En vous efforçant de rapprocher les mondes de la science occidentale et du savoir autochtone, vous avez remarqué que la narration était un élément qui manquait au premier. Comment pouvons-nous nous réapproprier les histoires du territoire?
Nos histoires [autochtones] sont toujours avec nous et font partie intégrante de nos vies. Pour nous, elles nous permettent de tirer de nombreuses leçons de vie importantes, notamment en communiquant les lois de nos territoires, comme ce que nous pouvons faire pour prendre soin d’eux afin qu’il y ait abondance pour les générations futures. La science occidentale raconte aussi des histoires, mais d’un type différent. Elles aussi transmettent de l’information qui nous aide à mieux comprendre certaines choses, elles sont toutefois différentes, car elles se limitent à informer, et leur traduction n’est pas nécessairement accessible à tout le monde. Je pense que pour mieux comprendre nos territoires, nous devons réunir les deux types de récits de sorte à obtenir un portrait plus global du passé, du présent et de l’avenir.
Dans le livre, vous faites souvent référence à « l’écologie d’Éden » et à quel point le travail de restauration que nous faisons aujourd’hui consiste à remettre la Terre dans un état « parfait ». Pourquoi cette quête est-elle imparfaite?
Je pose immédiatement les questions suivantes : Qu’est-ce que la perfection dans un écosystème? Qui détermine cette définition? Parfait pour qui? Je demande ensuite, quand cet état parfait a-t-il eu lieu? Je pense que dès que nous commençons à poser de telles questions, il devient évident que nous visons une cible qui n’existe pas et qui n’a jamais existé. Il y a deux éléments importants ici. Premièrement, la Terre est une planète dynamique qui change tout le temps : les conditions climatiques changent, les populations changent, ce dont nous avons besoin d’elle change. Deuxièmement, notre espèce a causé beaucoup de dommages à notre mère la Terre, et beaucoup de gens se sentent mal de cela. Ainsi, motivés par la culpabilité, nous poursuivons des initiatives de restauration et de conservation qui tentent de nous effacer complètement du tableau sans réaliser que nous devons simplement faire un meilleur travail pour écrire une histoire qui nous inclut, de manière respectueuse et réciproque, en reconnaissant que la relation humaine est un élément essentiel à la santé écologique.
Vous avez dit que les gardiens et gardiennes de l’environnement, dont vous faites partie, s’efforcent d’atténuer la culpabilité environnementale avec des concepts qui ne suffisent pas à sauver notre planète (comme le recyclage ou la création de pistes cyclables récréatives). Lorsque la situation semble intimidante, que peut-on faire pour promouvoir le changement?
À titre de précision, tout est utile. Même les petites choses que nous faisons pour nous aider à atténuer notre culpabilité environnementale. Ce que je dis, c’est que ces initiatives, bien qu’importantes, ne suffisent pas pour obtenir les résultats requis. Nous avons besoin que chacun intègre la gérance active de l’environnement à son quotidien. Il ne faut pas se contenter de profiter des sentiers ou d’observer la faune sans rien faire pour la soutenir. Il y a tellement de choses que nous pouvons accomplir lorsque les membres de la collectivité se rassemblent au service du bien commun. C’est par là que je commencerais. Rassemblez les gens et demandez-leur « Que pouvons-nous faire dans notre quartier ou dans un endroit populaire pour atteindre des objectifs comme la promotion de la biodiversité ou l’amélioration de la sécurité alimentaire des animaux et des humains, tout en essayant de mettre la réciprocité au cœur de tout ce que nous faisons? »
Votre livre déborde de connaissances. S’il n’y avait qu’une leçon à retenir, quelle serait-elle?
Il faut faire preuve d’ouverture d’esprit et se faire confiance dans le processus. Je pense que nous ne devons pas limiter notre apprentissage à ce qu’on nous a toujours enseigné. Dans mon cas, j’ai dû me donner la permission de mettre de côté la version de la science occidentale qu’on m’a enseignée et faire de la place pour inclure une vision du monde autochtone qui, en fin de compte, a grandement amélioré ma science et ma recherche. Remettre en question notre statu quo ne change pas toujours quelque chose dans notre vie, mais cela nous permet de rester constamment à l’affût de nouvelles possibilités et de cultiver notre curiosité du monde et des relations qui nous entourent.